Relance de catalogues distingués, nouveautés dans la presse mag’ et charme ostensible des bouquins… Depuis quelque temps, l’industrie du papier connaît une nouvelle jeunesse. On se pose donc la question : les influents d’aujourd’hui (id est les acteurs des médias et du luxe) peuvent-ils vraiment se passer du papier ?
Pendant longtemps, j’ai feuilleté le catalogue La Redoute dans les toilettes de ma mère. Maintenant disparu (il faut le commander sur le site, alors qu’avant on le recevait deux fois par an, pour les collections Automne-Hiver et Printemps-Été, si on était abonné), on se dit que c’est dommage pour eux : la puissance nostalgique de la section lingerie et une refonte graphique efficace auraient pu dépoussiérer les frenchies de Roubaix, aujourd’hui un brin relégués aux vieilleries des années rose saumon (alors qu’ils lançaient à l’époque des collections avec Christian Lacroix ou Michel Klein).
Plus maline et (beaucoup) plus chic, la marque outre-Atlantique J.Crews (ils vendent des barn jackets pour les New-Yorkais de Riverside Drive), vient de relancer son célèbre catalogue, sous l’impulsion de Libby Wadle, directrice générale du groupe depuis 2020. Déjà collector et considéré comme un objet iconique de la mode américaine, le catalogue remet au goût du jour les photoshoot chiadés, plus proche d’un magazine que d’un inventaire (avec quatre couve et une interview de Demi Moore dans le premier numéro), le tout repensé par l’atelier français de Franck Durand (DA de Harper’s Bazaar France). Le résultat est immédiat : tous les fans (il y en a) s’emballent et la marque, alors proche de la faillite post-Covid, est de nouveau ultra-désirable. La Redoute, vous vous y mettez ?
PRINT IS THE NEW LUXURY
« Print is the new luxury », se murmuraient les stars au front row du défilé Miu Miu SS25. Sur les murs, des motifs d’imprimerie, et sur les bancs, un magazine sur lequel était apposé le nouveau monogramme de la marque, créé par M/M Paris (le duo de designers le plus désirable de la place parisienne). Le message ? Le print est immuable, concret, durable et surtout, ultra sexy. Eh oui, non seulement ça ne coûte rien de publier un post sur Insta (par conséquent, monter un mag’, c’est montrer qu’on a un portefeuille à la hauteur), mais en plus, ça pollue (nous militons donc aux côtés de Xi Jinping pour une suppression totale des archives Internet).
Plus question, désormais, pour le luxe de se passer d’un support papier-glacé, visuellement très réussis : voyez l’historique Monde d’Hermès, les magazines de Loewe, de Cos (imaginé par le duo de Fantastic Man Gert Jonkers et Jop van Bennekom) le 31 rue Cambon, de Chanel… Mieux, certaines marques vont jusqu’à monter de véritables projets éditoriaux, beaucoup plus libres dans la forme et le fond. C’est le cas de Bottega Veneta, qui lançait Magma en juillet 2023, revue d’art annuelle et bilingue, pilotée par Paul Olivennes (fils de Denis Olivennes, président de Editis et petit-fils du libraire Pierre Berès). Hautement stratégique.
Autre raison pour laquelle le luxe capitalise sur le papier : plus la Gen-Z chinoise se tourne vers la « dupe economy » (acheter des contrefaçons du luxe), plus les grands magasins doivent reconquérir une clientèle locale et citadine (donc snob, intello et fine bouche). À preuve, la fast-fashion n’a pas tardé à suivre le mouvement : Uniqlo propose depuis quelque temps son Lifewear Magazine, et dernièrement, Zara et Jennyfer mettaient en vitrine les Gallimard et autres bricoles de la rentrée littéraire. Bah oui, le livre, n’est jamais cheap, il ne se démode pas. Comme tout bon magazine ?
LES SANS-PAPIERS
Pendant les JO de Paris, au très prisé hôtel du Cheval Blanc, comme dans tous les spots glamour de la capitale, on pouvait se procurer gratuitement le Gala Paris, hors-série de 56 pages du média, dirigé par l’équipe d’Alexandre Marras. Le digital-crack à l’origine du succès planétaire de Gala sur TikTok l’admet : « Le format papier a de beaux jours devant lui. Les marques adorent voir leurs activations sur papier glacé. Les annonceurs, et les lecteurs, sont toujours sensibles à de belles photos. » S’il n’est plus question, de fait, de compter uniquement sur le print (les copains du Canard enchaîné viennent de lancer leur site web), il semble pour autant inconcevable de mépriser la synérgie évidente entre tous les domaines plus ou moins proches du luxe (mode, musique, lifestyle…), et l’envie de l’immortaliser sur un support stable et séduisant, avec une offre à « 360° ». Dont acte.
Direction le bureau de presse. Le média Views, déjà remarqué sur Instagram pour ses posts léchés, informés et intelligents, vient de lancer son premier numéro semestriel en kiosques. Son rédacteur en chef, Léo Devaux, a cédé à « l’aspect statutaire du papier. Avec les réseaux, on est toujours dans un temps court. C’était important de faire un bel objet ». La formule économique ? Sans surprise : « On a un écosystème diversifié, c’est-à-dire des activités d’agence avec lesquelles on fait de la production photo, vidéo, on va curater des événements pour notre communauté, on a plusieurs piliers qui nous permettent d’investir le papier. » Damn, le papier a les reins solides.
A contrario, et sans l’assurance d’un modèle viable en 100 % digital, les faux prophètes du podcast n’ont pas survécu aux années 2020. Tandis que Paradiso Media se trouve dans la tourmente (ils viennent d’être placés en liquidation), le tabac-presse de mon village continue de vendre Midi Libre, la queue s’allonge devant Shakespeare & Co, Vincent Bolloré lance le tristounet (on travaille notre gentillesse, ndlr) JD News, Antoine de Caunes (financé par le groupe CMI), son magazine Vieux (il ne s’appelle pas Naufrage ?, ndlr), et Reworld Media fait renaître Grazia (pour le énième fois)… De facto, camarades, il n’existe pas de meilleure auto-pub qu’un mag’ laissé dans la salle d’attente de votre toubib.
Par Violaine Epitalon