Mais pourquoi tous ces bonnets noirs et fringues grises lors de la dernière fashion week ? Une dépression passagère s’abattrait-elle sur le secteur ? Enquête.
À quelques jours de la Fashion Week Femme, qui sonnera la saison automne-hiver 2025-26, on termine encore nos comptes-rendus de la saison de l’Homme et de la Haute Couture. Secouée d’une morosité mondiale ambiante, et d’un secteur du luxe en crise, la mode se tire les cheveux entre refuge onirique, et reflet d’un cafard économique. Tandis que « Four Women » de Nina Simone résonne chez Comme des Garçons, et que les femmes Dior de Maria Grazia Chiuri, célèbrent celles du monde entier, autour de l’oeuvre murale de Karishma Swali, The Flowers We Grew, Ludovic de Saint Sernin, créateur-invité chez Jean Paul Gaultier nomme sa collection « Naufrage ». Les collections présentées à la dernière PFW ont-elles le spleen ? Enquête le Blues des HNWF (High Net Worth Fashionistas).
NÉO-DANDYSME RASSURANT
Le mardi 21 janvier, la première semaine de la mode de l’année à Paris s’ouvrait. La veille, Donald Trump devenait le 47e président des États-Unis. Et je venais de rendre mon papier pour le numéro de février sur la « Luxury Fatigue ». J’y écris que le luxe va mal. On aurait pu le deviner. La Maison Chanel, bien que souvent considérée comme un baromètre du luxe, n’est pas imperméable aux fluctuations économiques. Lors du dernier ralentissement de 2008, la maison a résilié 200 emplois à Paris. Le mois dernier, 70 postes ont été supprimés aux États-Unis. Sur les podiums, la décélération et les budgets en baisse, se sont traduits par de nombreuses collaborations. Kiko Kostadinov avec Asics, Jacquemus avec Nike, Bluemarble et Ugg, ou encore Sacai et Carhartt. La liste est longue. Les collab’ sont astucieuses, elles ont le pouvoir de mixer couture et streetwear, mais surtout de générer de nouveaux bénéfices pour les marques. Deuxième indice : des silhouettes néo-dandy rassurantes, quasi omniprésentes. Le temps d’un hiver, AMI (ci-contre), dit adieu au romantisme de son logo en cœur rouge, et laisse place aux chemises à jabot et aux costumes croisés teintés de marron. Amiri se donne au costume en velours des années 1970, et les hommes Saint Laurent par Anthony Vaccarello enfilent leurs costumes-cravates, mais dans des cuissardes démesurément subversives. Le temps est aux pièces essentielles, subtilement introduites, pour suggérer que le luxe n’est pas futile, et vaut la peine d’être acheté.
SE BATTRE OU SE DÉBATTRE
Le bilan est aussi en demi-teinte niveau inclusivité masculine. Avec 4,8 % du casting en tailles moyennes, on aurait pu croire à une hausse. En réalité, les mannequins étaient plus musclés que grandes tailles, tels les standards des années 1980, alors que la mode commençait seulement d’ouvrir la voie à une plus grande diversité, tant chez l’homme que chez la femme.
Les mouchoirs encore humides, l’assemblée de la mode est partie écouter l’espoir, dans la Cathédrale américaine, le temps du défilé de Willy Chavarria. Sous fond sonore des mots dits par l’évêque Mariann Edger Budde – lors de l’investiture du président américain – ses silhouettes paradent sous le signe des identités et des communautés. Plus loin, dans la Cour Carrée du Louvre, chez Louis Vuitton, l’union fait la force. Pharrell Williams se double de son meilleur ami et directeur artistique de Kenzo, Nigo. Et malgré un effacement des sous-cultures dans la mode, la visionnaire Jeanne Friot réinsuffle un air punk sur la place parisienne. Les silhouettes dévoilent des hoodies « Love is Punk. Not dead » et des tee-shirts « A Woman is Somebody, not Some Body ». La mode flotte dans un entre-deux : se battre ou se débattre. Alors en attendant les beaux jours, on écoute les paroles de Daniel Roseberry chez Schiaparelli : « Tout le monde pense que la leçon d’Icare est de ne pas voler trop près du soleil, mais qu’en est-il si c’est de construire de meilleures ailes ? ».
Par Anaïs Dubois