Derrière les ornements rigides du Londres rupin de l’après-guerre et les atermoiements d’un artiste au crépuscule, Paul Thomas Anderson designe une sorte de comédie romantique comme vous n’en avez encore jamais vue.
C’est étrange, depuis quelques mois, quelque chose de sympathique émane de la personnalité de Paul Thomas Anderson. Jusque-là on avait tout à fait le droit de le trouver génial, difficile par ailleurs de le trouver « sympa ». Ça fait même partie de la légende de ce magazine, tiens. Les (très) vieux lecteurs de Technikart se rappellent peut-être qu’il avait failli en venir aux mains avec l’ami David Martinez (certes venu lui chercher quelques noises) à l’époque de Boogie Nights, ou comment il avait complètement dégoupillé au moment de There Will Be Blood, parce que le sifu Léo Haddad avait eu le malheur de lui avouer qu’il avait probablement accouché là de son meilleur film. Le garçon semblait appartenir à cette race de surdoués ronchons, ouvertement mégalos et terriblement casse-bonbons dès lors qu’on leur tend un dictaphone. C’était sa mystique – mieux que ça, c’était aussi une composante de ses personnages (le Sandler écorché vif et agité de Punch-Drunk Love était de ce point de vue-là une sorte de manifeste) et donc de son cinéma, profondément opaque et cyclothymique. Donc clivant.
SOLAIRE ET CHARNEL
Sauf que, ces temps-ci, voilà que le mal luné se met à orchestrer la promo US de son Phantom Thread à coups de punchlines irrésistibles, avouant par ici une passion dévorante pour La La Land, regrettant là son arrogance à l’époque de Magnolia ou multipliant les questions-réponses très mignonnes avec ses fans de la twittosphère (à propos de sujets aussi divers que le dernier Star Wars, son idole Jonathan Demme ou l’ourson Paddington). Cette métamorphose express apparaissait déjà quelque peu dans les couleurs west-coast et l’humour stoner d’Inherent Vice, elle s’affirme ouvertement dans Phantom Thread, de loin son film le moins cérébral, le plus physique, le plus ouvertement sentimental et accueillant.
Ça commence pourtant dans le solennel et le fantomatique avec ce portrait en 70 mm granuleux d’un vieux couturier anglais des 50’s dont chaque moment de vie est ritualisé à l’extrême. Mais très vite apparaît cette petite serveuse maladroite qui va soudainement lui redonner de l’appétit et agir sur le film comme un point d’ancrage solaire et charnel. Va se jouer ensuite un remake en chambre de The Master (avec moins de rêverie cryptique et plus d’omelettes aux champignons) dans lequel il s’agira d’ausculter comment la greffe peut opérer dans un couple où les rapports de force semblent joués (et donc perdus) d’avance.
Loin du Falbalas de Becker, autre immense film sur la mode et la domination/soumission, PTA ne file en fait jamais la métaphore du créateur-vampire qui retrouverait l’inspiration au contact de sa jeune proie. Il reste plutôt focalisé sur une danse entre deux amants qui doivent s’épuiser l’un et l’autre pour mieux se retrouver. Le tout sur fond de Jonny Greenwood. Quand est-ce que ces deux-là vont finir par comprendre qu’ils sont faits l’un pour l’autre, hein ? C’est la trame de Phantom Thread, c’est aussi un registre de comédie romantique. Le film en épouse effrontément les codes et la structure. Il le fait évidemment à la PTA, c’est-à-dire avec un certain sens de la démesure et des obsessions morbides partout, mais il choisit d’y plonger corps et biens jusqu’à un épilogue soufflant, joyeux et libertaire. L’œuvre d’un mec sympa, oui, indiscutablement.
Phantom Thread, de Paul Thomas Anderson ⭐⭐⭐⭐
Actuellement en salles
FRANÇOIS GRELET
Paru dans Technikart #219, février 2018