En 2017, le musicien rwandais Jali fait écouter à Imani Assumani, alors installé à Kinshasa, les premiers morceaux de l’actrice Stéfi Celma. « Un, deux, trois, quatre au bout du cinquième, j’ai dit : c’est bon, je reviens en Europe ! J’ai changé de pays pour sa voix, raconte Imani, j’ai été touché en plein cœur. » De son côté, Stéfi entend Imani par l’intermédiaire du même ami, Jali : « J’entends sa voix, explique-t-elle, et je lui demande immédiatement où il est, si je peux le voir… » Ils se rencontrent en studio le 14 août 2017. Trois ans après, ils fondent le label Moyo, sur lequel sortent leurs propres titres, dont le dernier EP d’Imani, Décibel, et co-produisent le groupe de Kinshasa MPR. Justement très empreint de l’énergie spontanée, bouillonnante et ambitieuse de la capitale congolaise, le couple, d’inspirations musicales différentes (le hip-hop pour lui, la folk latine pour elle), s’influence mutuellement, comme sur le morceau de Stéfi Celma, « Vent du sud », où plane légèreté et douceur. Une rencontre tout en rythme.
En 2017 vous collaboriez tous deux avec des majors. C’est le besoin de liberté qui vous a donné l’impulsion de créer ensemble Moyo ?
Imani : On a voulu se structurer, pour accompagner sur le plan artistique et administratif nos propres projets, mais aussi pour d’autres artistes. L’une de nos plus belles fiertés est d’avoir connecté Claire Prunier, la juriste de Guetta, avec un groupe émergeant à Kinshasa qui devait signer chez Universal, MPR.
Les morceaux que vous sortez chacun de votre côté sont toujours créés à deux ?
Stéfi : À côté des prods d’Imani, je pose mes guitares, puis un texte arrive…
Imani : La question de qui fait quoi ne se pose plus. On commence une chanson, puis, sitôt qu’un de nous se sent à l’aise d’y aller, l’autre accompagne.
Il y a un mood commun à vos deux univers musicaux. Une évidence ?
Stéfi : Lorsque je rencontre Imani, je cherchais depuis un moment une sonorité particulière, de guitare solaire. Il est le son que je cherchais !
Imani : C’est le timbre bas-médium de sa voix, à la Maurane, que je cherchais quant à moi. Nous avons tous les deux grandi en Afrique, aux Antilles et en Europe, et j’ai reconnu un métissage qui me parlait : ce n’est ni trop Cain-fri, ni trop Europe…
Stéfi : Je souhaitais aussi écrire différemment, être simple, mais avoir du fond. Quand j’ai entendu sa façon d’écrire, j’y ai vu une clé artistique.
Imani : À Kinshasa, les gens parlent français, mais il ne faut pas sortir celui du dictionnaire. Tout va vite. Il faut être synthétique. Par ailleurs, la musique est un voyage. L’art aide les gens à s’évader et à s’apaiser des conditions parfois difficiles. Tout le monde ne peut pas se permettre de partir à l’autre bout du monde. Alors dès qu’ils prennent leur instrument, ils ferment les yeux, et partent dans leurs mots, leur tête, leur cœur. C’est pourquoi, avec le label on a gardé une empreinte là-bas, parce que ça nous recentre.
Stéfi : Artistiquement mais même personnellement, aller à Kinshasa a été déterminant dans ma vie.
Votre Love Music ?
Stéfi : Tout de Sam Cooke. On l’emporte partout.
Imani : Et une pépite que nous venons de découvrir : José Carlos Schwarz !
La chanson qui accompagne l’autre ?
Stéfi : « La non-demande en mariage », de Brassens.
Imani : « Adeline », d’alt-J.
La suite ?
Stéfi : Continuer à faire de la musique ensemble.
Imani : Notre rêve avec Moyo est de faire une école de phonétique qui permettrait aux gens de pratiquer le français avec l’accent qu’ils veulent ou le ton qu’ils veulent car parfois le ton ou l’accent que l’on utilise peut nous avantager ou nous discriminer. Les gens devraient avoir le droit de choisir.
Par Alexis Lacourte
Photos Axel Vanhessche