STREAMER 1 : MARCUS, PIONNIER DU TWITCH

marc lacombe

En 1998, Marc Lacombe, dit Marcus, invente sans le savoir ce qu’on appellera plus tard le « let’s play » cher à twitch : être filmé pendant qu’on joue à un jeu vidéo, tout en commentant ce qui s’y passe. Rencontre enjouée avec le papa du gaming français.

Si vous êtes un môme des années 90 – équipé du câble – vous connaissez forcément Marcus et son émission Level One. En 1998, il est le premier à avoir fait diffuser à la télévision une partie de jeu vidéo qu’il commentait en direct, ou presque. À l’heure où la culture gaming prend de plus en plus d’ampleur, nous le retrouvons dans son studio de la banlieue parisienne, une sorte de musée du gaming ou salle de jeu pour grand enfant. Car il n’est de console qui ne soit passée entre les mains de Marcus…
En 1977, alors qu’il n’a que 11 ans et se fait encore appeler Marc, son père ramène des US l’un des tout premiers jeux vidéo : un Pong. « Une console avec des sortes de thermostats de four pour bouger les raquettes. C’était la première fois qu’on pouvait s’approprier la télé, on n’était plus obligé de subir Jacques Martin et l’École des fans. Depuis, j’ai eu toutes les dernières consoles. »

« AVANT, IL FALLAIT AVOIR DES NIKE. AUJOURD’HUI IL FAUT AVOIR UN BEAU SKIN DANS LE JEU. »


En 1989 et désormais jeune vingtenaire, il devient testeur de jeux vidéo pour le magazine Micronews.
« Je n’en revenais pas d’être payé pour jouer. » Le journaliste débutant écrira pour Tilt ou Consoles Plus, puis, à la fin des années 90, il fait ses débuts à la télé sous le nom de Marcus. Un bref passage sur France 3 dans l’émission Micro Kid ’s, avant de rejoindre en 96 Canal + et son ambitieux programme court Cyber Flash : « C’était tous les soirs en clair, ça parlait de jeux-vidéos, d’internet, et de la culture multimédia. C’était une des premières émissions de télé qui considérait le jeu vidéo comme une véritable culture, au même titre que le cinéma, le théâtre, les romans etc. J’y suis allé parce qu’on m’avait dit que Canal + voulait aussi ouvrir une chaîne dédiée aux jeux vidéo. C’était le début du satellite, des tas de chaînes thématiques pouvaient s’ouvrir… C’était les prémices d’internet en fait. » La PS1 vient de sortir, on passe de la 2D à la 3D et les éditeurs évoluent vers des jeux plus adultes comme GTA ou Resident Evil. La console n’est plus qu’un jouet pour enfant, le public est là, il ne manque plus que la fameuse chaîne de Canal et l’émission parfaite…

 
« FORMAT BIZARRE »

Toujours en 96, Marcus rejoint donc la nouvelle chaîne satellite de Canal fraîchement créée, C:. « On pouvait télécharger des jeux via le décodeur, c’était très en avance. C’était presque davantage un canal de distribution de jeux vidéo qu’une chaîne. » Mais c’est en 98 que les choses bougent vraiment, quand C: se transforme en Game One. Marcus propose alors son concept de Level One. « Canal m’a demandé comment parler de jeux vidéo à la télé, je leur ai dit qu’il fallait faire comme à la maison avec des amis : “assieds-toi sur le canapé à côté de moi, on va jouer 20 minutes et tu sauras si t’as envie d’acheter le jeu”. On a appliqué ça à la télé. Pour montrer la réalité des jeux, il fallait le faire en temps réel, sans montage, s’exprimer comme on parle à nos potes. » Sans le savoir, Marcus invente ce qui sera plus tard appelé le format « Let’s Play », et qui fait aujourd’hui le succès des Youtubeurs et Twitcheurs en tout genre. « On n’était pas sûr que ça marche, le format était bizarre pour l’époque. Mais on a vite vu le potentiel : on pouvait interagir avec les personnages du jeu dans l’émission, on avait vraiment l’impression d’être dedans. Ça a bien pris, et c’est ce que font aujourd’hui les gens sur Twitch, Youtube, etc. Je vais demander des sous à Twitch (rires) ! Aujourd’hui, tout le monde peut le faire de chez soi, et il y a des centaines de milliers de gens qui le font. Quand j’ai commencé, il fallait les moyens d’une chaîne de télé. »


INFOGRAMES & NOLIFE

En 2001, Canal, en pleine restructuration, décide de retirer ses capitaux de Game One, alors partagés à 50% avec la société éditrice de jeux-vidéo Infogrames. Cette dernière prend alors le contrôle de la chaîne, commence à mettre son nez dans les affaires des journalistes, et censure certains contenus concernant ses jeux. Marcus quitte l’émission. Il enchaîne durant quelques années les collaborations en tout genre, sur i-Télé ou France 5. Puis, en 2007, Marcus rejoint une nouvelle chaîne, Nolife, sur laquelle il présente Chez Marcus, un clone de Level One tourné cette fois depuis chez lui. Il réintègre la même année Game One avec Retro Game One, focalisé sur les classiques du jeu vidéo. L’émission cartonne plusieurs années, jusqu’à son arrêt en 2014. Marcus enchaîne alors les livres, une BD, joue dans des séries et des courts métrages…
Plus récemment, en 2018, Marcus débarque sur Twitch et y refait son Level One. La boucle est bouclée, celui qui a inventé le concept du « Let’s Play » arrive enfin sur la plateforme pour laquelle il était destiné, et avec le concept originel. « Là, je suis vraiment chez moi, c’est plus dans un studio, c’est mon canapé, et les gens peuvent me parler en direct, ils peuvent me vanner, et j’offre un cadeau à celui qui fait la meilleure blague. Il y a une vraie communauté qui s’est formée, c’est toujours les mêmes qui viennent, ils sont super drôles. Twitch est un peu l ’aboutissement de mon concept. »

Marc Lacombe
GAME BOSS_
Aux commandes de sa méga manette de Nes version Star Wars, Marcus règne sur ce studio qui ferait rêver n’importe quel gamer…


À l’image de beaucoup d’autres streamers, Marcus est devenu au fil des années un véritable ami virtuel – et sincère dans ses engouements et détestations – pour ses fans. Mais Marcus voit encore plus loin : « Le top serait de filmer les émissions en 3D, pour que les gens avec un casque de réalité virtuelle puissent avoir encore plus l’impression d’être à côté de moi sur le canapé. C’est possible techniquement mais pas en direct. Le jour où ce sera faisable, je serai peut-être le premier à le faire. » Et, depuis un an, il présente à nouveau Level One sur Game One. Retour aux sources…
En 2020, les geeks voient leur culture s’imposer à peu près partout. Pour le plus grand bonheur du pionnier Marcus ? « Tout ce qui est informatique, internet, les jeux vidéo, même le manga, les comics, la science-fiction… tout est lié, c’est devenu la pop culture principale. Il suffit de regarder les films qui rapportent le plus de fric, c’est des trucs de geek – et il n’y a pas beaucoup de geeks qui ne sont pas gamers. On a gagné, en quelque sorte. Le jeu vidéo est même devenu un produit d ’appel. Il y a des expos dans des musées, des municipalités qui organisent des festivals, et ils s’aperçoivent que ce sont leurs meilleurs taux de fréquentation. Beaucoup de médias traditionnels n’ont toujours pas compris ça. »


MARIAGE VIRTUEL

Au-delà du succès des plateformes telles Youtube ou Twitch, la limite entre le monde dématérialisé et le monde réel tend à s’atténuer. Le rôle social, même, de la culture internet/geek/gamers est désormais indéniable, notamment chez les jeunes générations. « Ça dépasse largement les jeux vidéo, les gens vont sur Fortnite pour se retrouver et faire autre chose, discuter, rigoler. Pour le dernier Star Wars, le discours de l’empereur à été diffusé d ’abord dans Fortnite, comme un teaser. Il y a aussi eu un concert de Travis Scott dans le jeu. Dans les cours de récré, même les gamines connaissent les danses de Fortnite. Avant, il fallait avoir des Nike, aujourd’hui il faut avoir un beau skin dans le jeu. Et cette génération en oublie parfois d’être quelqu’un pour de vrai. Le jeu vidéo contribue évidemment à ça, avec les avatars etc. On retrouve ce même phénomène sur les réseaux sociaux. » Ceci tendrait à expliquer pourquoi les danseuses et danseurs de Tik-Tok ressemblent à des Sims en perdition.
Marcus s’y connait en terme de vie alternée. Durant le confinement, il a marié un couple de fans à l’intérieur du jeu Animal Crossing. « Ils ont organisé une cérémonie sur leur île, ils avaient décoré avec un truc de mariage, elle avait une belle robe, ils nous avaient fait des smokings, et le samedi à 14h on s’est retrouvés à une vingtaine dans le truc, et c’est moi qui ai officié. C’est pas officiel bien sûr. » Peu à peu, Marcus le présentateur se transforme en Marcus le personnage du monde virtuel, de plus en plus accessible et tout autant amical. Et la suite ? « Je kiffe tout ça mais je sais que ça finira mal. Ce n’est que le début, et quand on pourra envoyer directement à ton cerveau les images, la sensation de chaud, de froid, le goût etc., il n’y aura plus aucune raison d’être dans la vraie vie pour beaucoup de gens. C’est comme dans Matrix. On finira dans un cocon avec des tuyaux dans le cul à penser qu’on est à Hawaï à siroter un cocktail… » Vivement la suite ?

Intrépide, Tome 2, ( DTC Éditions), sortira en novembre 2020


Par Jean-Baptiste Chiara
Photo : Eddy Brière