Nous avons rencontré Nicolas Laugero-Lasserre, directeur de l’école Icart, amoureux des arts et spécialiste du street-art, dont il défend la place dans le spectre contemporain depuis plus de vingt ans. Un grand Monsieur.
Racontes-nous comment tu es tombé dans le street-art ?
Je suis arrivé à Paris il y a vingt ans, avec mon baluchon et beaucoup d’espoir, et le hasard m’a mené dans un quartier qui a changé ma vie ; la Butte aux Cailles. À ce moment là je n’étais pas du tout dans le milieu de l’art ni attaché spécialement à l’art contemporain. Et je me retrouve, à la fin des années 90, dans ce quartier couvert de street-art qui me fascine et m’intrigue. Je me familiarise alors avec les grands noms de la rue de l’époque, nés dans les fameux terrains vagues de la Chapelle et de Stalingrad (berceau du graffiti en France), tous inspirés de JonOne et Futura 2000 déjà exposés à la galerie du jour d’Agnès B. Pour n’en citer que certains ; Miss. Tic, Mesnager, Jef Aérosol, Speedy Graphito, Blek le Rat (dont Banksy se réfère depuis toujours), Banlieue-Banlieue, les VLP (Vive La Peinture)… Tous ces artistes posent leurs univers dans la rue, en se nourrissant d’échanges entre le street-art et le graffiti.
Y-a-t-il un revirement de la scène du street-art qui passe des Etats-Unis en France, et transforme Paris en capitale mondiale du street-art ?
En ce qui concerne l’art contemporain, Paris a souffert d’avoir perdu son leadership après-guerre, mais clairement et je le dis sans l’ombre d’un doute ; Paris est la capitale mondiale du mouvement street-art, aussi bien en terme d’émergence d’artistes, d’évènements, de galeries ou de maisons d’enchères. Il y a aujourd’hui plus de 60 galeries dédiées à l’art urbain à Paris contre une vingtaine à Londres, et à peine une dizaine à New-York. On a ici une quinzaine de ventes aux enchères importantes par an d’art urbain, on pense bien entendu à Artcurial qui sont les pionniers dans le domaine qui commencent dès 2005, Drouot, la maison Leclerc, la Maison Tajan… On est indéniablement la capitale mondiale de ce marché.
Qui sont, selon toi, les grands noms du moment de la scène du street-art français ?
Des incontournables français, mais aussi parce qu’ils ont un retentissement mondial, le meilleur absolu c’est Invader. C’est le numéro un français et certainement un des plus grands du monde. Il est présent partout, sa folie mégalomane a envahi la terre entière, il a une oeuvre sur un satellite, une autre à 3000 mètres de profondeur dans l’océan, il fait s’échapper les personnages de ce jeu iconique dans la vie réelle. Il a même créé une application de chasse à ses oeuvres dans le monde avec plus de 20 000 joueurs. Juste derrière lui, un mec qui a raflé la mise avec ses oeuvres monumentales c’est JR, qui est très jeune, il a 34 ou 35 ans, mais il a monté des projets qui ont fait le tour du monde entier comme celui dans les favelas où il colle des reproductions de photographies géantes des gens qui y habitent sur leurs maisons, en donnant un visage à ces personnes oubliées. Mais il ne faut pas oublier nos historiques et je pense à Ernest Pignon-Ernest qui démarre dans les années 60 et qui colle ses affiches d’appel à se mobiliser autour de l’appel de l’Abbé Pierre pour l’aide aux sans-abris. Enfin pour ne pas oublier de citer une femme de talent, il faut aussi parler de « Madame » qui travaille d’abord en atelier puis, qui affiche ses collages dans la rue pour défendre la différence et la tolérance.
Faut-il courir grapher la ville alors ?
Oui, mais pas n’importe comment. Ce qu’il faut c’est embellir ce qui est moche et redonner vie aux lieux qui souffrent.
Melchior