Rencontre avec Jean-Stéphane Sauvaire, réalisateur de l’immersif et asphyxiant Black Flies, descente aux enfers de deux ambulanciers d’un quartier pourri de New York.
Vous faites dans le cinéma immersif, hypnotique.
Jean-Stéphane Sauvaire : C’est cela qui m’intéresse, je veux faire vivre une histoire au spectateur. J’ai lu le livre de Shannon Burke sur son expérience de paramedic dans les années 90 à New York. J’ai eu moi-même envie de vivre cette expérience de façon immersive en suivant des ambulanciers pendant deux ans afin de comprendre leurs vies. Au cinéma, je veux que mon spectateur soit dans la tête de Tye Sheridan, créer un long cauchemar, une hypnose, pour vivre vraiment le film. Ou le rejeter, ce que je comprends absolument. C’est de l’orde physique ! Je sens bien qu’il y a un rejet de certains critiques, mais le cinéma sert aussi à montrer ce que l’on a pas envie de voir. On me dit que c’est misérabiliste, car on n’a pas envie de voir ces gens, cette misère. On veut voir de riches new-yorkais, mais il y a déjà plein de films sur eux. C’est une autre réalité que je montre, pas celle du rêve US.
Sur Twitter, j’ai même lu que vous pourriez favoriser le vote d’extrême-droite, en montrant que des minorités.
C’est la réalité de mon quartier, Bushwick, à Brooklyn, il n’y a aucun blanc ! J’ai emménagé à Bushwick il y a quatorze ans. À l’époque, ça tirait dans la rue, il y avait des Latinos de Saint Domingue et des Afro-américains. J’ai acheté pas cher une maison abandonnée à l’époque car personne ne voulait habiter là. Je devais être le seul Caucasien de ma rue. J’avais envie de faire voir ce quartier qui se métamorphose et qui évoque les années 90. Il faut savoir que les gens qui appellent une ambulance 911 ont trop attendus, ils n’ont pas la sécurité sociale, ils sont pauvres. Quand j’ai suvi pendant deux ans les ambulances, je n’ai vu aucun blanc. Car s’ils ont un problème de santé, ils ont la sécurité sociale, des mutuelles. Les gens qui sont embarqués dans l’ambulance sont des Portoricains ou des noirs. Et s’ils gueulent contre les ambulanciers, c’est parce qu’ils savent que l’hôpital va leur demander 10 000 dollars et ils n’ont aucune assurance. Je n’ai pas non plus d’assurance santé et j’ai été une fois embarqué ; je m’étais fait exploser la tête dans une bagarre et ça m’a coûté 4 000 dollars. J’ai fait mon film avec honnêteté, que l’on aime ou pas, ce n’est pas mon problème.
Comment avez-vous pu accéder à des vedettes comme Sean Penn et Tye Sheridan ?
Quand j’ai lu le bouquin, c’est Tye qui s’est imposé à la lecture. Je voulais un jeune mec et c’est un acteur génial, ça commence à se savoir. Il vient du Texas, comme mon personnage qui n’est pas de New York, et ce lien m’intéressait. Sean, c’est un rêve de cinéphile. Et j’adore son parcours d’humanitaire avec son ONG en Haïti ou son engagement en Ukraine. Il aurait pu être ambulancier s’il n’était pas devenu acteur. C’est un mec super, je ne comprends pas que des critiques lui tombent dessus pour ses films ou son engagement. Mes deux acteurs ont suivi les ambulanciers pour se préparer. Comme Michael Pitt, qui est mon voisin et un ami. Pour son premier tour en ambulance, Michael est tombé sur un mec qui avait fait une crise cardiaque. Ils ont réussi à le réanimer mais le mec les a virés de chez lui, car il ne voulait pas payer la facture…
Parlez-nous du monstrueux sound design.
Je travaille depuis une éternité avec Nicolas Becker, qui a commencé comme bruiteur, qui bosse avec Ken Yasumoto, collaborateur avec Gaspar Noé. Nicolas a décroché un Oscar pour The Sound of Metal. On ne voulait pas une musique illustrative mais qui traduise les émotions des personnages, qui nous embarque dans la transe.
En combien de temps avez-vous tourné Black Flies ?
En 23 jours, mais j’ai préparé le film pendant cinq ans ! C’était très court, mais je n’avais pas un gros budget. En plus, j’avais quatre heures 20 de film au début du montage. J’ai eu la chance d’avoir Tye et Sean qui n’ont pas besoin de faire 50 prises pour être bons. J’ai gagné un temps précieux avec eux.
Ce film n’était pas trop difficile à monter en tant que réalisateur français ?
Des producteurs sont venus me chercher avec le livre. De fait, j’ai reçu pas mal de projets aux États-Unis, mais rien qui me correspondait ; j’ai même été contacté pour un Marvel mais je ne sais plus pour quel super-héros. Mais bon, un Spider-Man, ça pourrait être marrant…
Pourquoi vos films sont-ils bourrés d’adrénaline, de violence, de sang ?
J’aurais du mal à l’expliquer. Ça fait partie de mon ADN, je pense. Mais je ne comprends pas que l’on trouve Black Flies violent, la réalité est tellement plus insupportable et violente. C’est le cinéma des autres qui est aseptisé, c’est pour cela que j’aime tant le cinéma des années 70.
Vous n’aviez pas peur des ressemblances avec À tombeau ouvert de Martin Scorsese.
Le film est plus hollywoodien, mais je ne l’ai pas revu…
Quels sont vos projets ?
Je travaille actuellement sur deux projets. Addicted to Violence, pour expliquer mon rapport à la violence, et un conte fantastique médiéval et baroque. Mais pas en France, personne ne veut me produire ici…
Black Flies – Prochainement
LA RÉPLIQUE DU JOUR
- « Les hommes sont tous des porcs.
- C’est faux. Les porcs sont futés et sympathiques. »
Les Feuilles mortes d’Aki Kaurismäki
Par Marc Godin