THE GRILL : CAUCHEMAR EN CUISINE ET LUTTE DES CLASSES

The Grill de Alonso Ruizpalacios

À New York, une brigade constituée de migrants s’affaire dans la cuisine d’un restaurant. Bientôt, le patron découvre que l’argent de la caisse a été volé. Rencontre avec le réalisateur de l’excellent The Grill, le Mexicain Alonso Ruizpalacios.

Quelle est la genèse de votre film ? 
Alonso Ruizpalacios : The Grill est inspiré d’une pièce britannique de 1957, The Kitchen d’Arnold Wesker. Je l’ai lue quand j’étudiais en Angleterre, alors que je bossais en même temps dans un restaurant londonien pour payer mes frais de scolarité. C’est un sujet qui me touche intimement. 

La cuisine de votre film est espace métaphorique qui représente le ventre des USA, le capitalisme, peut-être même le monde lui-même. 
Cette idée était déjà dans la pièce de théâtre, mais nous sommes allés plus loin grâce à mon casting international. Nous avons répété avec les acteurs pendant un mois à Mexico. Ils avaient des cours de cuisine le matin, et ils improvisaient l’après-midi. C’est avec ces impros que l’on a pu approfondir les personnages et réécrire le script. C’est ainsi que la cuisine s’est métamorphosée en un espace autre, un monde en lui-même. Cette cuisine symbolise quelque chose de plus grand. Et bien sûr, ce qui importe le plus, ce sont les personnes qui travaillent dans cet espace. La cuisine devient un microcosme, un creuset, à l’image des États-Unis eux-mêmes. Elle rassemble des gens venus d’horizons différents, qui luttent chacun pour trouver leur place, pour conquérir un petit espace à eux.

Où avez-vous filmé ce restaurant de Times Square ?
À Mexico ! Nous avons construit notre cuisine là-bas parce que c’était moins cher et nous avons filmé les extérieurs à New York. Nous avons filmé huit semaines au Mexique et deux semaines à New York. Pour un film mexicain, c’est un gros budget, mais pour un film américain, c’est juste ridicule. C’est un film indépendant, financé par de petites compagnies qui ont pris des risques. 

Comment avez-vous réussi à convaincre Rooney Mara à vous rejoindre ? 
Je lui ai écrit une lettre, où je lui témoignais mon admiration et je lui racontais qu’elle devait faire partie du casting. C’était une lettre très honnête et je crois que c’est cette honnêteté qui l’a touchée. Rooney a répondu aussitôt en demandant à voir mes précédents films. Puis elle m’a écrit qu’elle acceptait de rejoindre l’aventure. Je vous rassure, j’avais déjà envoyé des courriers comme celui-ci : ça ne marche jamais comme ça (rires). 

On peut parler votre mise en scène, du cadre carré en 1: 33, du noir et blanc, des plans séquences ?
L’image est carrée et le cadre s’ouvre pour une unique séquence, mais je ne sais même pas si le public le remarquera… J’ai simplement essayé d’être fidèle à l’histoire. Le cinéma est un jeu et j’adore jouer avec la forme. C’est ce que le film exigeait, du changement, cette scène en bleu, les plans séquences pour le sentiment d’urgence… Lors du coup de feu dans la cuisine, nous avons un plan séquence de 14 minutes. C’était fou, on a mis presque deux semaines à le finaliser. Il était storyboardé et on a passé un temps infini à le répéter. C’est toujours comme ça avec un plan séquence : 95% de répétition et 5% de filmage. La quinzième prise fut la bonne… 

Le son est également très important. 
Le travail sur le son est probablement ce que j’ai préféré. J’y ai consacré beaucoup de temps avec mon designer sonore, Javier Umpierrez, et son équipe. Nous avons conçu cette bande sonore en y intégrant une multitude d’éléments, afin de créer une immersion totale. Pour la scène du coup de feu, je voulais que le bruit de la machine à tickets soit diégétique, bien sûr, mais qu’il devienne également un élément musical. J’ai donc travaillé en étroite collaboration avec le compositeur et le designer sonore afin de créer un son entêtant qui rappelle un peu une boîte à rythmes, un beat de proche de la techno. On a bossé six mois sur le son !

Ce que j’ai préféré dans le film, c’est quand un des cuisiniers sort dans la ruelle et raconte une très longue histoire d’alien à ses collègues. Votre film dure 2h 20 et vous avez une digression de dix minutes. Vous n’aviez pas peur de perdre votre public ? 
Un monologue de sept minutes, c’est très long ! J’avais envie de suspendre le temps, de casser le rythme. J’aime quand quelqu’un raconte une bonne histoire, j’adore vraiment cela ! En plus, ce n’est pas du tout un personnage central et tout s’arrête pendant sept minutes. À cet instant, on a bossé avec une IA pour trafiquer le son, enlever progressivement le bruit de la rue. 

J’ai l’impression que les cinéastes mexicains comme Guillermo del Toro, Alejandro Iñarritu, Alfonso Cuarón, Amat Escalante ou Carlos Reygadas sont tous de grands formalistes. Qu’en pensez-vous ?
Intéressant… Nous avons une tradition picturale très forte au Mexique, notamment à cause de notre peinture. Et nous avons d’immenses chefs-opérateurs, qui travaillent dans le monde entier. Pour The Grill, mes références venaient principalement de la photographie, notamment du travail du Japonais Masahisa Fukase.

The Grill de Alonso Ruizpalacios 
Sortie en salles le 2 avril


Par Marc Godin