TOMOKO SAUVAGE & FABIEN VALLÉRIAN : « ALLIER SON ET FLUIDITÉ »

Tomoko Sauvage & Fabien Vallérian

Cela fait trois siècles que la Maison Ruinart pense ses champagnes à la lumière de l’art. Conservant cet héritage, l’édition de leur Carte Blanche 2024 a été imaginée avec six artistes venus des quatre coins du monde, dont la performeuse japonaise Tomoko Sauvage. Fabien Vallérian, directeur art et culture de la Maison, nous présente cette collaboration.

Légende photo : ARTISTIC GLASS_ Pour l’année 2024, la Maison Ruinart a imaginé, avec Fabien Vallérian directeur art et culture (à droite), une Carte Blanche à grande échelle. Parmi les artistes venus du monde entier, la Japonaise Tomoko Sauvage (à gauche) présente une sculpture organique et sonore.

Cette Carte Blanche 2024 – Conversations avec le vivant – réunit six artistes, dont vous Tomoko, venus du monde entier (Pays-Bas, Cameroun, Brésil, Japon, Royaume-Uni, États-Unis), rassemblés par la Maison Ruinart. Quelle est sa genèse ?
Fabien Vallérian : Cela fait longtemps que nous travaillons avec des artistes variés, qui ont en commun d’avoir une sensibilité pour les questions d’environnement, pour le vivant, l’équilibre entre l’humain et la nature. Pour cette Carte Blanche 2024, nous avons voulu aller plus loin avec ce collectif d’artistes engagés. J’avais déjà rencontré Tomoko et je l’ai contactée, c’était une invitation à la création…

Tomoko, comment s’est concrétisé votre engagement artistique à l’occasion de cette Carte Blanche ?
Tomoko Sauvage : Cela fait quinze ans que je fais des recherches sur l’eau, le son, les bulles… Mais j’ai affiné tout cela spécifiquement pour la Maison Ruinart, la région Champagne et le site de la Maison. J’y ai fait ce qu’on pourrait appeler une résidence. J’ai visité les vignes, et les caves, une très ancienne crayère.
Fabien : Nos crayères sont d’anciennes carrières de craie qui datent du XIIIe siècle et sont classées au patrimoine mondial de l’Unesco. Elles sont utilisées sur le circuit de visite, mais aussi en production.

Les œuvres seront visibles dans le « jardin des artistes » de la Maison Ruinart ?
Fabien : Oui, cette fois-ci, nous travaillons sur un jardin de sculptures qui ouvrira à partir d’octobre et pour lequel nous faisons des commandes à des artistes pour des sculptures permanentes. Tomoko a l’habitude de performances lors de concerts ou de moments artistiques. La particularité ici, c’est que tu as créé une œuvre pérenne.

Votre domaine de prédilection, Tomoko, c’est le son et les ondes. Votre sculpture a été pensée en accord avec les vibrations ?
Tomoko : Exactement. Je travaille avec les artisans, les architectes, avec le verre et le son, notamment en lien avec le mouvement constant de l’eau. Durant mon parcours artistique, je cherchais une sonorité particulière et je suis tombée sur un instrument indien : le Jalatharangam qui se joue avec des baguettes sur des bols remplis d’eau. Donc pour cette Carte Blanche, j’ai fait une recherche musicale sonore électroacoustique, avec les waterbowls, mon instrument, et aussi une amplification sous-marine avec des microphones électroniques. La partie « son » correspond aussi au visuel, grâce au verre transparent qui ressemble à de l’eau glacée avec une courbe qui rappelle les vagues. 

Fabien : Ton idée d’allier le son à la fluidité est aussi intéressante pour Ruinart, puisque, par définition, nous élaborons un champagne, fait de liquide et de bulles. Cela fait quinze ans que Tomoko s’intéresse au son des bulles, nous nous sommes dit que c’était incroyablement approprié. Pour nous aussi c’est une première, de travailler avec une artiste du son. C’est une découverte mutuelle.

L’ADN de la Maison Ruinart, c’est aussi d’être précurseur en matière de création artistique contemporaine, et ce depuis sa première commande d’une affiche publicitaire faite à Alphonse Mucha en 1896. Comment expliquer que le secteur champagne s’intéresse autant à l’art contemporain ?
Fabien : Historiquement, la famille Ruinart collectionnait l’art dès le XVIIIe siècle. Elle a donné une éducation artistique à ses enfants. Cela nous semble naturel qu’André Ruinart, descendant direct du fondateur Nicolas Ruinart, ait fait appel à Alphonse Mucha en 1896. Et son affiche a été la première commande, qui était aussi la première réclame pour le champagne dans l’histoire de la publicité. L’innovation a toujours été une signature de la famille Ruinart qui était aussi la première à avoir développé une Maison de champagne en 1729. Nous avons rendu hommage à cet héritage en invitant les artistes du monde entier à venir en résidence, entre une semaine et dix jours, pour s’imprégner de l’histoire et des codes de la Maison. Et puis nous les laissons libres dans leur processus de création, d’où le principe de Carte Blanche. L’artiste va nous parler de sa vision de Ruinart. Mais ça dépasse même largement Ruinart puisqu’on parle de la nature en Champagne, de la question de la nature dans le monde, des questions sur le climat, comme par exemple avec Tomas Saraceno, des questions sur la biodiversité, et sur le vivant en général. Ils ont chacun leur interprétation, leur approche.

Cette approche du vivant et de la biodiversité, vous parvenez à la concrétiser via une politique RSE au sein de la Maison ?
Fabien : La Maison Ruinart est une de celles qui ont le plus d’avance sur le sujet. Nous nous sommes engagés sur les certifications environnementales pour le vignoble et l’élaboration du champagne, mais aussi sur la qualité des sols, la Maison n’utilise plus aucun herbicide depuis 2020. Nous n’utilisons que de l’énergie verte et recyclons 99 % des déchets issus de notre production. Côté packaging, nous avons les secondes peaux en papier recyclable issu de forêts européennes éco-gérées. Côté transport, nous avons remplacé le transport aérien par le maritime.

Votre sculpture, Tomoko, exploite le concept du hasard par le biais du mouvement de l’eau et du son. Comment le mettez-vous en lien avec la question de l’écologie ?
Tomoko : Il y a une sorte de circulation entre la source et l’environnement que ce son traverse, comme un retour à la source. Cet aspect circulaire est un élément important pour moi. Le son ça traverse tous les corps. Ça fait vibrer nos corps, la terre, l’air. Il y a aussi un aspect aléatoire avec l’instrument que j’utilise, l’eau se meut de façon inattendue, incalculable.

Est-ce que ces partenariats artistiques influencent la création de vos champagnes ?
Fabien : Oui, c’est certain. Par exemple, notre chef de caves, Frédéric Panaïotis, est très sensible à l’art. Il adore venir dans les foires d’art, découvrir des artistes, il collectionne… C’est cette sensibilité-là, le fait de rencontrer des artistes très régulièrement, qui crée des connexions neuronales et des inspirations qui ne viendraient peut-être pas toutes seules. Cet échange avec l’artiste est essentiel pour un chef de caves, car il produit des connexions inattendues entre plusieurs univers. En fin de compte, si cela n’a pas une immense influence sur le produit, en ressort tout de même un esprit d’appartenance, de communauté.

Vous serez présent au Art Basel Paris, en octobre 2024. Qu’y présenterez-vous ?
Fabien : La Maison Ruinart est associée directement. C’est le champagne officiel des foires d’art, notamment d’Art Basel Paris. C’est dans notre espace d’exposition, que nous présentons cette fois-ci le travail de Pascale Marthine Tayou, l’un des six artistes de la Carte Blanche 2024, qui réalise une sculpture permanente pour le Jardin des artistes du 4 Rue des Crayères à Reims au mois d’octobre, où il sera mis en majesté.

 

Par Alyssia Lavenant
Photo Jeanne Pieprzownik