TOUS EN T.T. DE LA CABRIOLE ?

capital erotique

À nouvelle ère, nouvelles mœurs ? Puisque désormais tous les mercredis, c’est TT, que le temps d’écran se compte en heures et que les portefeuilles sont vides, la tendance est au capital érotique – à distance. Notre journaliste a fait l’enquête. 

Légende photo : Allô_ Mais à qui donc peut téléphoner Sabrina ? (La star next-gen Sabrina Carpenter pour Skims)

Catastrophe. Un vilain dégât des eaux a ravagé votre deux pièces, et exige là, maintenant, tout de suite, des travaux si pharaoniques qu’il rendra ladite résidence impropre à la location pour les JO. Adieu, loyer opportunément multiplié par six, ciao congés mollement écoulés dans un cinq étoiles des Baléares, aux frais d’étrangers nantis. D’un mot : les vacances estivales sont gâchées. À moins que… Oui, à moins qu’une autre manne financière express n’existe, à portée de bigo. Après tout, cette pote avisée qu’est Natacha vous l’a assez martelé, « OnlyFans, ça met bien ». Il faut dire qu’à l’ère du néolibéralisme débridé, où à peu près tout peut faire l’objet d’un juteux négoce, la sexualisation de la culture progresse, main dans la main, avec une marchandisation du sexe de plus en plus décloisonnée. Exit l’intimité moite des peep shows et autres lieux de « pornographie » confidentiels ; désormais le commerce de l’exhibition emprunte les circuits de réseaux sociaux, dont l’étendue tentaculaire fait fleurir un travail du sexe « indirect » généralisé, aussi accessible que rentable. En bonne logique, tout le monde s’y met. Pourquoi pas vous ?

L’ELDORADO NUMÉRIQUE

Dans la famille des télétravailleurs du sexe (TTDS), je demande les pionniers. Ou plutôt, les pionnières, puisqu’il s’agit des standardistes du « téléphone rose ». Soit une ribambelle d’étudiantes en rade de thune, pour la plupart, qui avaient, avec la déferlante d’Internet, cédé la place aux camgirls. Lesquelles ont ensuite embrassé l’irrésistible boom du web 2.0 (en réseau, grosso modo) pour enfiler la veste – plus glam’ ? – de « créatrices de contenu ». L’idée ? Essaimer ici un téton racoleur, là une suave vidéo de fellation, sur des plateformes dédiées aux publications « exclusives » (comprenez : porno) telles que OnlyFans ou Mym. Avec, à l’horizon, un jackpot mirobolant. On parle de 850 000 dollars mensuels minimum engrangés, pour la vedette de TV britannique Megan Barton Hanson. Grâce à des publi’ « hot », bien sûr. Voilà pour les célébrités.

Quant au commun des mortels – qui a, lui aussi, flairé le bon filon –, disons que ces digi-circuits du X lui servent de « revenu complémentaire ». Après un 9h-18h rasoir dans l’open space, tiens que j’te partage une photo dénudée. Via un système d’abonnement qui met (beaucoup) de beurre dans les épinards, pour peu qu’on s’investisse. Car si les photos basse déf’ de pieds adressées aux fétichistes ne vous rapporteront même pas de quoi régler la Caïpirinha de votre rade pref’ (pardon pour la désillusion), l’achat d’un matos digne des golgoths de YouTube, ainsi qu’une DA soignée pourrait hameçonner les chalands – et leur soutirer plusieurs dizaines d’euros par mois. En bref, en TTDS comme en tout, il s’agit de se professionnaliser.

Nota bene : pour vous atteler à la tâche, on ne saurait trop vous conseiller d’appréhender votre corps sous l’angle du « capital érotique », selon l’expression d’Eva Illouz. Une sociologue aux yeux de laquelle notre sexualité, longtemps maintenue sous la chape de plomb morale des religions, s’est dé-privatisée. Ce, sous l’impulsion d’un élan capitaliste qui l’a propulsée dans les circuits – mondialisés, négociables – de l’économie marchande. Tout en la soumettant aux codes qui la régissent. Nouvelle logique hégémonique : pour faire grimper la « valeur » d’une chair pensée comme un patrimoine marchand, il importe de bichonner son sex appeal, un peu à la manière d’un produit artisanal destiné à la vente. Alors – hop, hop ! –, on empile les séances de gym, on apprend à embraser le désir. Et on utilise des fonctionnalités telles que unlock.me, pour inciter les spectateurs de votre story Instagram suggestive à casquer, s’ils espèrent – ces coquins – jeter un œil à des contenus explicites. Alors choisissez smart, pensez sexy. Puis rendez-vous aux Baléares ?

 

Par Antonin Gratien