L’excellent girls band Girl Ray nous rappelle qu’il n’y a pas de fatalité pour les toubabs : avec un peu de bonne volonté, eux aussi peuvent faire danser. Et si le mainstream bien digéré était l’avenir de l’indie ?
Halte aux idées reçues : un blanc-bec peut très bien être funky. Certes, un sinistre raseur comme Vincent Delerm fait tout pour nous convaincre du contraire – mais qui accorde encore le moindre crédit à ce croque-mort grisonnant spécialisé dans les aquarelles fadasses pour antiquaires dépressifs ? À Londres, on sait se tenir : pas question de finir comme lui. C’est là que trois jeunes filles, Iris McConnell, Poppy Hankin et Sophie Moss, ont monté le groupe Girl Ray au sortir de l’adolescence. À leurs débuts, elles faisaient de la twee pop mélancolique. Élégant, sympathique, mais limité – certes, on ne plaisante pas avec le thé en Angleterre, mais allaient-elles passer leur vie à boire de l’Earl Grey en regardant tomber la pluie et relisant Verlaine ? En franchissant le cap de la vingtaine, elles se sont rendu compte qu’elles aimaient autant Whitney Houston qu’Elliot Smith, se sont avouées qu’elles écoutaient plus George Michael, Prince et Kate Bush que l’intégrale de Marianne Faithfull. Et puis un album mainstream leur est tombé sur la tête : le Thank U, Next d’Ariana Grande. Et si elles essayaient de tirer leur esthétique intimiste vers des sonorités plus R&B ? Inutile de préciser qu’elles n’ont pas, alors, pensé à engager le fils Delerm comme producteur.
LOUP FUNK
Dès le deuxième titre de Girl, « Show Me More », elles nous dévoilent une chose peu banale : elles ont retrouvé le fantastique son de guitare que Nile Rodgers avait mis au point sur « Upside Down » de Diana Ross. Un vieux souvenir nous revient alors en mémoire. En 2004, complètement obsédés par la musique de D’Angelo, les quatre Versaillais de Phoenix s’étaient enfermés des mois en studio pour créer un groove comparable. Le résultat, Alphabetical, reste un modèle indépassable dans le genre complexe du petit Blanc qui à Bill Clinton préfère George Clinton. De Scritti Politti et Prefab Sprout à Calvin Harris, Hot Chip ou Erlend Øye, la tradition est longue de ces artistes timides qui après avoir croisé le loup funk ne veulent plus revenir au folk à la papa. Ils en tirent une musique hybride, tantôt maladroite, souvent charmante. Chez Girl Ray, la magie opère sur chaque chanson. Il faut dire que les mélodies, les arrangements, la voix et les chœurs, tout envoûte, des morceaux les plus dansants aux chansons plus introspectives. Après le chef-d’œuvre de Weyes Blood et le très bon disque de Chastity Belt, une tendance se dessine en 2019 : contre la grosse pop sous OGM gavée des pires gimmicks de l’époque, des filles spirituelles proposent une musique néoclassique et moderne, pleine d’âme (dans le fond) et d’entrain (dans la forme). À conseiller à Chris et Jeanne Cherhal, qui devraient en prendre de la graine. L’équation pouvait paraître farfelue sur le papier, il n’empêche que le trio Girl Ray s’en est merveilleusement sorti en studio : il est inutile de re- garder dans le rétroviseur et de copier les groupes anglais des années 80, c’est en s’inspirant d’Ariana que la twee pop peut redevenir vraiment grande.
Louis-Henri De La Rochefoucauld