Avec au poignet son Oris Big Crown Pointer Date Calibre 473, Vincent Coquet, le directeur des opérations en France de la maison Suisse, nous raconte le retour au sommet de la montre. Interview de pointe.
Fondée en 1904, la maison a connu des difficultés dans la seconde partie du XXe, avec l’arrivée, sur le marché de l’horlogerie, d’une concurrence nippone révolutionnaire. Comment la maison s’est-elle relevée ?
Vincent Coquet : Dans les années 1980, des employés ont repris l’entreprise. Le secteur était en crise car les Japonais sont venus avec le quartz, des montres à piles extrêmement modernes, peu onéreuses et beaucoup plus précises. Oris a alors eu l’idée de s’installer au Japon, mais avec des montres mécaniques traditionnelles. C’est comme ça qu’elle s’est relevée avec des produits durables, comme son modèle historique la Big Crown. Le Japon est aujourd’hui l’un de nos meilleurs marchés.
Oris a lancé sa campagne publicitaire avec Kermit, le présentateur du Muppet Show, en 2022. Montres mécaniques et star du vert – « It’s not easy being green » ?
Non ! Mais on voulait justement jouer avec le greenwashing au centre de toutes les maisons de luxe, depuis le covid. On peut prendre l’égérie la plus verte du monde – et c’est nous qui l’avons ! –, ce n’est pas cela qui démontre l’engagement d’une maison. Cela fait 20 ans que nous avons commencé à changer nos méthodes de production ; on tend désormais vers le zéro plastique et on est la première maison horlogère au monde à avoir été certifié « carbon neutral », en 2021… Pour arriver à tout cela, ce sont des années de travail. Donc, Kermit est un pied de nez avec deux ambitions : faire sourire les gens et faire connaître Oris. On prend des engagements sur la fabrication, ensuite ce n’est que de la poésie !
Avec cette égérie de Disney, l’objectif est aussi de rajeunir l’image de marque d’Oris ?
Oui, c’est un de mes objectifs depuis que j’ai repris la direction de la maison, il y a cinq ans. La marque est plutôt aimée des collectionneurs, un public de 50 ans et plus. On parle de produit entre 2500 € et 4500 €, donc chercher une clientèle de 20 ans et plus, c’est compliqué. Celle-ci cherche sa première montre Suisse, qui sera peut-être une Tissot. On s’occupe en revanche de celle d’après. En fait, on souhaite aller vers une clientèle moins classique et plus pop, qui recherche un produit purement par plaisir, comme accessoire de mode et qui durera dans le temps.
Comment se porte le marché de l’horlogerie, post-Covid ?
Il se porte bien, en tout cas pour des marques comme Oris qui ont été moins impactées par le travel retail et les pertes liées à la diminution du nombre de touristes chinois. D’autres ont en revanche été plus durement affectées, puisque les touristes constituaient une part beaucoup plus importante de leur business, qui leur permettaient également d’être plus puissantes en termes de communication. Pour ces maisons-là, il a fallu se réinventer, tandis que pour des marques comme Oris, c’était déjà notre terrain de jeu que de travailler avec des clientèles locales.
C’est pourquoi, la première boutique française d’Oris était rue Montorgueil ?
Oui ! C’était l’idée de vendre des montres de luxe tout en étant collé à un bar ! Ce qui, pour d’autres groupes, est impensable – qui demandent à rester dans le cadre du luxe. Donc, on a eu un temps d’avance avec un produit déjà pensé pour la réorganisation post-Covid. Notre slogan est « Go your own way », avec un clame qui dit « Sois indépendant, Sois libre, fais ce que tu as envie de faire et comme tu as envie de le faire ». En d’autres termes, une boutique place Vendôme, ce n’est pas nous !
Oris est très présent dans le monde du sport. Vous avez collaboré avec l’écurie de F1 Williams, pour le pilote Valtteri Bottas, et 50 % des montres vendues par Oris sont des montres de plongée. L’idée de la campagne Change for the better days ?
50 % des montres vendues dans le monde par la marque sont des montres de plongée. Nécessairement donc, on a été amené à travailler avec des associations, des explorateurs et des gens au quotidien dans l’eau, qui ont vu les choses changer. Avec une petite maison comme Oris, ces ambassadeurs ont eu accès direct à notre président. Au départ donc, il y a eu la volonté d’aider financièrement ces associations – ce qu’on fait en Australie, pour la préservation de la barrière de corail. À force de travailler et de comprendre, Oris a repensé la gouvernance de son entreprise, de sa production ainsi que de ses packaging. Plus de plastique ou d’écrin qui ne servent pas à grand-chose, mais une poche en cuir, utile à d’autres fins ; et puis des bâtiments qui produisent de l’énergie… C’est tout ça, des projets du quotidien et des plus grosses campagnes.
Vous avez également organisé des campagnes de collecte de déchets en Asie. Et en France ?
En Asie, lorsque l’on organise des collectes, ça fonctionne très bien. On pourrait en faire toutes les semaines et rassembler 200 personnes à chaque fois. En France, on a essayé plusieurs fois, mais c’est beaucoup plus complexe de réunir du monde… On travaille par contre avec la fondation Project Rescue Ocean qui met en place des programmes d’éducation pour les plus jeunes. On a étendu cette collaboration à la Ligue de Football Professionnelle. Oris est devenu chronomètre et partenaire officiel de la LFP depuis le 6 octobre 2022.
De là, la connexion avec Bracenet, qui produit des bracelets à partir de filets de pêche recyclés ?
Oui, désormais ils travaillent avec la LFP pour que les filets des stades soient faits à partir de filets de pêches recyclés. En parallèle, on met aussi en place un programme dans les centres de formation des clubs de foot afin que les enfants soient sensibilisés à ces questions-ci le plus tôt possible. Ces centres rassemblent souvent des jeunes qui viennent de milieux défavorisés et qui sont des challengers ! Si on arrive à leur donner cette envie qu’on a, ils vont engager énormément de monde, d’énergie et d’intelligence. C’est ça l’idée d’être partenaire responsable.
Comment redynamiser le marché de la montre chez les femmes ?
On ne genre pas nos montres. Par essence, une montre peut être portée par n’importe qui. En revanche, il y a une volonté d’attirer un public féminin. Ce qui nous bloque, c’est qu’Oris fait des montres mécaniques, qui semblent moins attirer le public féminin. Chanel est majoritairement féminin, Cartier et Rolex s’en sortent également bien. Hors de ces trois maisons-là, le marché est tout petit.
Vos chiffres clés ?
Une progression de 10 à 15% par an depuis 2020 !
L’avenir de l’horlogerie ?
Radieux ! C’est un métier qui est là depuis 400 ans et qui a évolué tout en gardant son essence, sa technicité, sa beauté. Il y a toujours de plus en plus de personnes amoureuses et inspirées par l’horlogerie mécanique. Ce domaine a surmonté beaucoup de crises, dont celle de 1980. Lorsque Apple et ses montres connectées sont arrivés sur le marché, tout le monde a prédit la mort de l’horlogerie traditionnelle. Contre toute attente, ça l’a renforcé. Apple a étendu le marché, car ils ont mis des montres aux poignets de gens qui n’en avaient pas. Ajoutez à cela l’envie de se déconnecter, alors les personnes reviennent à des montres plus classiques. C’est finalement très positif, même si tout le monde ne le dira pas.
Un conseil pour bien choisir une montre ?
Il y a deux types de clients. Ceux qui entrent et qui demandent ce qu’ils doivent acheter pour investir. À ceux-là, on montre la porte de sortie (rires). Et ceux qui veulent raconter une histoire avec la montre qu’ils portent. À ceux-là, on répond que la montre est un indicateur de personnalité, qu’elle est une extension de soi… Donc qu’elle doit vous ressembler !
Par Fanny Mazalon