VITALIE TAITTINGER : « LE CHAMPAGNE EST UN LANGAGE… »

Vitalie Taittinger technikart

La Maison Taittinger travaille depuis des années à allier art et champagne. Sa présidente, Vitalie Taittinger, nous dresse le portrait d’une Maison familiale et raffinée. Interview à lire sans modération.

Saviez-vous que des rappeurs comme Mister You et PNL citent la Maison Taittinger dans leurs sons ?
Vitalie Taittinger : Je n’étais pas au courant, mais je suis très contente de l’entendre !

Qu’est-ce que cette forme de reconnaissance représente pour vous ?
Il n’y a pas de plus belle récompense que d’être dans la vie des artistes et de ce qu’ils écrivent, mais aussi dans les livres, les musiques, le cinéma… C’est ce qui fait qu’une Maison existe des années plus tard et surtout appartient au patrimoine. Je suis toujours heureuse de voir une bouteille de Taittinger dans un vieux film, par exemple. Le champagne associé à l’art, c’est une belle traduction : c’est l’émotion, la vie, le filtre qui amplifie tout. Donc je ne suis pas étonnée que cela séduise les artistes.

L’art revient souvent quand on évoque la Maison.
Oui, notre rapport à l’art est unique. Plusieurs personnes de la famille étaient artistes, c’est quelque chose qui continue de nous taquiner tous les jours, car c’est comme ça que s’est aussi construite notre sensibilité. De plus, nous avons grandi dans une famille où l’art était désacralisé. Finalement, c’est devenu quelque chose de naturel.

Comment concrétisez-vous cette alliance du champagne et de l’art ?
Le champagne étant lui-même un art, je dirais qu’il se rapproche de l’exercice de la peinture. C’est l’intention des hommes, c’est une matière qui provient de la nature et c’est une projection dans le temps, une forme de hasard ajoutée à la recette champenoise, comme dans la peinture. Nous avons 288 hectares, et davantage en approvisionnement. Nous jouons avec une palette de crus, de cépages, d’années et plus encore. Nous voulons que les histoires que nous racontons donnent des émotions. Pour réaliser des cuvées qui ont la même identité chaque année, nous réinventons sans cesse la recette en fonction du climat, et de pleins d’autres paramètres… C’est un jeu passionnant et artistique.

Vous venez de lancer le fonds de dotation Philantropic Ars Nova. Est-ce l’aboutissement de l’engagement artistique de la Maison ?
Après plusieurs années à pétrir les actions de mécénats, de partenariats dans l’art et autres, je me suis dit que ce serait bien de sortir du champagne pour pouvoir faire en sorte que toutes ces actions aient un impact encore plus fort sur un public qui n’est pas forcément celui que nous touchons avec le champagne. Je trouvais ça intéressant d’avoir en même temps le potentiel d’action de la maison Taittinger, mais de le mettre au service d’un but qui n’était pas nécessairement conjugable avec la Maison. Taittinger va doter Philantropic Ars Nova et se concentrer sur comment faire en sorte que les domaines de l’art, du patrimoine, la gastronomie et la musique puissent être mieux transmis à un public plus large.

L’idée de ce fonds est de connecter le public à l’art. Pourquoi mettez-vous un accent particulier sur l’opéra ?
L’association de la musique et de l’image, avec les décors, les costumes… C’est la somme de différents métiers et c’est ce qu’on trouve de mieux en performance de groupe. Il n’y a pas plus fort qu’un opéra pour ressentir des émotions. C’est sans doute l’axe le plus large et le plus personnel. Nous voulons révéler des collections privées. C’est assez grandiose et ça peut être très peu abordable quand on se trouve en province. L’art en général tourne plutôt autour du sens des images. On se pose beaucoup la question du marché de l’art mais pas forcément du rapport à l’art. C’est un rapport qui peut être assez simple, nécessaire. On a besoin de se plonger dans des images qui ne sont pas forcément la réalité, de pouvoir s’extraire. On a aussi besoin de se poser la question de la distance entre le regard et la réalité.

Quelles sont les particularités de la Maison Taittinger ?
C’est une Maison familiale depuis quatre générations. Lorsque je dis familiale, c’est parce que c’est vraiment ce qui prend une grande part dans toutes nos décisions. La particularité lorsqu’on est une famille, c’est qu’on pense un peu loin dans le futur. On se dit que l’on va transmettre et nous prenons le temps, nous ne sommes pas là pour des objectifs court-termes. On pense à la fois à ce qui nous a construit et à ce que nous sommes en train de construire.

« PRODUIRE DE GRANDS VINS, RENDRE LES GENS HEUREUX ! »

 

Vous êtes sans doute l’une des Maisons indépendantes les plus importantes sur le marché. Quels sont les challenges pour maintenir ce cap ?
Je pense que cela va bien au-delà du champagne. Notre challenge est de toujours trouver du sens à ce que l’on fait et de faire en sorte que cette Maison ait une raison d’être dans notre monde actuel : se battre pour les choses de façon équitable, à savoir produire de très grands vins pour rendre les gens heureux. Nous voulons également rester connectés à la vie d’aujourd’hui en portant cette tradition qui nous construit et nous nourrit, tout en gardant son humilité. Il y a toute la fougue de ce que nous faisons tous les jours.

Considérez-vous le champagne comme un luxe abordable ?
Oui, de la même manière qu’un bouquet de fleurs ou une boîte de chocolat. Très souvent, on dit que c’est cher. Un bouquet ne dure pas très longtemps, mais cela reste un plaisir de la nature et de tous les sens. Je pense qu’on peut ranger le champagne dans cette catégorie. C’est une sorte de magie du quotidien. Un homme qui offre un verre de Prosecco à une femme n’est pas la même chose lorsqu’il lui offre une coupe de champagne. C’est un langage à part entière. Sans rien dire, vous dévoilez tout.

Comment s’est passée la récolte de 2023 ?
L’année 2023 dans la vigne a été une année absolument magnifique. J’ai rarement senti autant de générosité de vigueur de la part de la nature dans le vignoble. Cela a donné lieu à des vendanges absolument hors normes également. Les grappes avaient un poids exceptionnel. Lorsqu’on se retrouve avec une telle quantité, ça donne encore plus de pression pour savoir l’absorber, en faire quelque chose de qualitatif. La nature n’est jamais simple à gérer, c’est tout le challenge de notre métier. Je me souviendrai de cette année viticole. Au niveau des ventes, après le Covid, il y a eu un envol. Tout le monde a surconsommé du champagne, car on avait tous besoin de faire la fête et de vivre. L’année 2023 est plus sage. Elle est marquée par l’inquiétude de l’actualité… Le champagne reste le grand vin du plaisir, d’adhérer à une forme de fantaisie et de rêves. C’est une boisson onirique et dans un monde comme le nôtre, nous avons besoin de rêver.

Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour 2024 ?
J’espère qu’on va continuer sur cette lancée. Je ne suis pas tellement inquiète, je ne suis pas tant intéressée par les chiffres même s’ils sont de bons indicateurs mais c’est surtout de voir que le cap qu’on a fixé est de mieux en mieux appréhendé par les gens qui travaillent avec nous, et il l’est aussi par le public. On reste dans une forme de cohérence et de consistance à laquelle on s’accroche.

www.taittinger.com

 

Par Zoé Schoumacher