Les réseaux sociaux volent notre temps et notre attention. Ils ont même été conçus pour ça. Mais la résistance s’organise.
« Les technologies sont devenues des compulsions, sinon des addictions à part entière », écrit Nir Eyal, plume du Wall Street Journal, dans son dernier best-seller Comment créer un produit ou un service addictif (Ed Eyrolles, 2018). « Rien de tout cela n’est un accident », ajoute-t-il. Tout est « juste comme leurs concepteurs l’ont voulu. »
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Design persuasif
Avez-vous déjà été aspiré par YouTube ? Moi, si. C’était un mardi soir. Je regardais le dernier court-métrage d’un ami humoriste… et me voici 3 heures plus tard à somnoler devant le décollage d’une fusée Space X. Tout ce que je voulais, c’était rire un peu devant une vidéo de 3 minutes. Pas plonger dans un tunnel de fun (funnel) jusqu’à 23h30, affalé sur mon canapé, l’oeil sec et la salive à la commissure des lèvres. Sortant de ma torpeur, je jurais, mais un peu tard, que l’on ne m’y prendrait plus.
Cette soirée là, je fus victime de ce que les geeks de la Silicon Valley nomment les dark patterns, ou design persuasif. « Un ensemble de pièges “captologiques” : des bouton, formes, couleurs et images qui captent l’attention de l’utilisateur et l’orientent, malgré lui, vers d’autres services », m’explique Irénée Régnauld, co-fondateur du Mouton Numérique, un lieu de rencontres qui éclaire la société en ouvrant un espace de dialogue entre penseurs et faiseurs des univers numériques.
On parle ici de l’infinite scroll sur Facebook, de l’auto-play sur YouTube, des stories Instagram et Snapchat, des recommandations sur Netflix ou Amazon et des métriques sur Twitter (nombre de likes, retweets…). Bref, tout ce qui favorise l’addiction, voire la compulsion, et augmente le temps passé sur l’appli à regarder des contenus… et donc des publicités qui sont le cœur de « l’économie de l’attention » créée par les GAFAM.
Ces procédés de manipulation mentale sont désormais bien connus. Depuis 2014, Tristan Harris et James Williams, deux anciens cadres de Google fondateurs de la Humanetech, dénonce ces « stratégies toxiques mise en place pour voler notre temps. »
Dès 2016, le sociologue du numérique Dominique Boullier pointait les signes d’un « réchauffement médiatique » responsable, selon lui, d’une nouvelle « crise attentionnelle ». Un phénomène régulièrement chroniqué par le journaliste du New-York Times Kevin Roose, qui dénonce les méfaits psychologiques du design persuasif, où l’utilisateur « ne décroche plus, accroît son stress, sa fatigue et modifie son comportement ».
En janvier 2019, la CNIL a d’ailleurs publié un rapport intitulé La forme des choix, où elle s’interroge sur le pouvoir de « l’esthétique du numérique » et rejoint les analyses du collectif des designers éthiques qui conçoivent des services numériques responsables et durables: il faut agir !
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Demetricator, Clearthis, Minimal : débuts de solution
Fatigué de se faire voler ses nuits par YouTube, et de se laisser manipuler par des designs pernicieux, Tim Krief, un jeune français étudiant en informatique, a développé Minimal : une extension libre et open source, pour Firefox et Chrome, qui neutralise les pièges des sites web de YouTube, Facebook, Twitter, Google, Amazone et Stack Overflow.
Une fois installée, l’extension libère votre écran des fonctionnalités addictives : les couleurs, images et éléments pour cent au clic compulsifs sont tout simplement effacés, comme les bloqueurs de pubs (adblokckers) effacent les publicités.
L’extension vient ainsi compléter l’arsenal de programmes “anti-notifications” déjà disponibles, comme Demetricator (qui supprime les compteurs de likes sur les réseaux sociaux) et ClearThis ou MercuryReader qui retirent toutes les distractions visuelles des articles, pour ne laisser que le texte et les images.
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Pour avoir testé Minimal sur Firefox, je peux attester que le dispositif ne provoque ni bug ni ralentissement de la navigation. Son seul défaut : ne pas encore être disponible sur smartphone. En attendant, Tim Krief – qui revendique chercher au quotidien le désencombrement et un mode de vie simple – a de quoi être fier : sa solution Minimal reste extrêmement efficace pour tous ceux qui souhaitent échapper à la société de consommation compulsive.
Jacques Tiberi