L’année dernière, c’était le col roulé. Cette année, va-t-on devoir se résoudre à lire à la bougie et à dormir avec son Labrador ? L’économiste le plus survolté de France nous fait le détail de la facture d’électricité…
Légende photo : ÇA VA CHAUFFER_ C’est la guigne. Notre cher ministre de l’Économie pensait calmer le peuple en colère en signant un accord avec EDF pour assurer la stabilité des prix. Jusqu’à ce que le Canard révèle le pot aux roses… Merci, Bruno.
Depuis le conflit entre la Russie et l’Ukraine, le prix de l’électricité est redevenu un sujet politique. On se souvient de ces boulangers qui avaient vu leur facture d’énergie fortement augmenter et étaient contraints de mettre la clé sous la porte. Comment en est-on arrivé là ? Alors pour bien comprendre ce sujet éminemment complexe, il faut rappeler quelques éléments. Premièrement, l’électricité n’est pas stockable ; ce qui veut dire que lorsque tout le monde allume sa lumière, sa cafetière et son grille-pain à 7 h 30, il faut qu’il y ait une production d’électricité qui réponde quasi instantanément à cette demande. Pour cela, il y a ce qu’on appelle « un ordre du mérite » qui se met en place pour couvrir cette demande en allant de la production d’électricité la moins chère (l’hydraulique, éolien, solaire et les centrales nucléaires) à la plus chère (les centrales à charbon et à gaz). Donc dans les heures de pointe où tout le monde boit son café le matin ou fait chauffer ses plaques pour préparer à dîner le soir, toutes les unités sont mobilisées et le prix de l’électricité est déterminé par la dernière unité mise en production. C’est pour cette raison que, l’année dernière, Bruno Le Maire nous demandait de baisser le chauffage et de mettre un col roulé : il voulait éviter que nous ayons besoin d’avoir recours aux centrales à gaz en heure de pointe dans un contexte où le prix du gaz flambait avec le conflit entre l’Ukraine et la Russie (un des premiers producteurs de gaz au monde). Deuxièmement, il y a eu une volonté politique de casser EDF. Traditionnellement, l’électricité était gérée par un monopole public EDF, mais cela ne plaisait pas à la Commission européenne qui voit dans l’ouverture à la concurrence tous les bienfaits possibles et inimaginables. Il fallait donc casser ce monopole et ouvrir le marché de l’électricité à la concurrence. Historiquement, les prix du gaz et de l’électricité étaient fixés par les pouvoirs publics, notamment pour protéger le consommateur de la volatilité des prix. À partir des années 2000, il a été offert aux consommateurs la possibilité de quitter les tarifs réglementés d’EDF pour des offres de marché, les prix de marché devant être moins chers que ceux réglementés par EDF puisque, en théorie, la concurrence est supposée les faire baisser. Mais à partir de mi-2005, les prix de marché se sont mis à dépasser fortement les tarifs réglementés, entraînant la colère de ceux qui les avaient quittés pour tenter l’aventure des « prétendus bienfaits de la libéralisation ». En 2006, la classe politique répond au mécontentement des usagers et met en place le TARTAM (tarifs réglementés transitoires d’ajustement au marché) qui permet aux consommateurs qui avaient quitté les tarifs protégés d’y revenir. En 2009, François Fillon, pressé par les possibles sanctions européennes, fit voter une loi, la loi NOME (nouvelle organisation du marché de l’électricité) qui oblige EDF à céder une partie de sa production nucléaire à ses concurrents.
MUR DE DÉPENSES
Et aujourd’hui qu’en est-il ? EDF, affaibli par des années de casse et d’obligation de brader une partie de sa production d’électricité nucléaire à ses concurrents, est face à un mur de dépenses. Les réacteurs nucléaires initialement prévus pour 40 ans approchent de cette date anniversaire. L’allongement de leur durée de vie de dix ans va coûter au bas mot 50 milliards d’euros. Le coût de l’EPR de Flamanville a complètement dérapé passant de 3,3 milliards à 19,1. Qui va payer toutes ces factures en fin de compte, si ce n’est le consommateur ? Oui, il faut se préparer à une hausse des prix tôt ou tard…
Par Thomas Porcher