Après un « Brat summer » provoc et anti-perfection, inspiré par l’album Brat de la teufeuse Charli XCX, le glas de la repentance a sonné. Avec la trend antagoniste du « demure » qui a explosé sur Tik Tok en fin d’été, sagesse et sobriété sont désormais de mise. Jusqu’au prochain meme ?
Légende photo : ETHOS-TENDANCE_ Aristote disait que la culture imite les ethos – manière de se comporter. Celui du Brat summer est simple : tout envoyer balader. Jusqu’à ce que son contraire débarque, le « demure » : être discret et bien sage. What’s next ? (Irina Shayk pour Marc Jacobs).
« Being polite is totally punk rock ! » lisais-je avec bonheur sur le compte Insta d’une modeuse branchée en cette fin août, alors que je scrollais dans un train rempli de gens aussi bronzés que dépités. Pas très « brat summer » tout ça. Si j’ai déjà troqué mon short et ma cocaïne pour un jeans et un café, mon feed Insta est lui aussi en deuil de ce Brat Summer qui s’achève, après avoir inondé cet été nos réseaux – et soirées. Car après Barbie et l’outfit rose bonbon de Margot Robbie en 2023, l’été 2024 était celui de Charli XCX et de son album Brat, avec sa pochette vert fluo et une police type Windows 98. Facilement memifiable, il a été décliné sous toutes les formes. Malin.
« Le brat summer, c’est l’anti-perfection, assumer une authenticité, avoir la peau grasse, la clope à la main, des boutons, une poitrine forte qui tombe un peu. C’est un retour à l’indie sleaze de Kate Moss et Pete Doherty, mais en version 2024, avec des valeurs d’inclusivité, hyper queer, hyper féministe. Cet été, t’ouvrais Tik Tok, Insta, Tumblr, etc., et l’esthétique Brat était partout. Une fille avec un avcado toast, hop, brat écrit dessus en noir, ce genre de choses… », explique la journaliste du Monde Anne Chirol, qui sort en novembre un livre démystifiant les trends archétypales qui peuplent les réseaux – clean girl, flower boy, mob wife, golden retriever boyfriend…
Continuant à scroller, les posts Brat summer laissent donc place à d’autres plus modérés. Fini les stories de soirées kétamine et sex débridé à Ibiza – very brat –, je vois désormais des gens en couple qui jardinent en buvant du Chablis à la campagne. « Very demure, very mindful, very cutesie », apparement. Very quoi ? Je suis perdu. Je file au wagon bar et passe sur Twitter pour échapper à cette sorcellerie sémantique. Et là, « my heart is so pure, I’m so demure », puis un autre tweet avec Kamala Harris et légendé « so demure ». So quoi ? Une nouvelle trend autour du terme demure – sage ou discret en anglais – est donc déjà née sur Tik Tok, créée par l’influenceuse Jools Lebron, qui est l’exacte inverse du Brat summer – l’Oppenheimer du Barbie 2024 est là. Quelques jours et 50 millions de vues plus tard, la trend « demure » est partout – des sœurs Kardashian qui voudraient redorer leur image, jusqu’à Joe Biden qui veut rajeunir la sienne. Mais qu’est ce donc cette diablerie ?
NARRATION & SKINS DE PERSONNALITÉ
« Vous voyez comment je fais mon maquillage pour aller au travail ? Très discret (demure), très humble. Je ne me ramène pas avec un fard à paupières vert, je ne veux pas ressembler à un clown en allant au bureau. Je n’en fais pas trop », explique Jools Lebron dans sa vidéo qui a lancé la trend demure. « Une tendance est toujours suivie par son contraire, nous rassure Anne Chirol, qui poursuit : Il y a ce concept d’influenceurs sur les réseaux, on a besoin d‘avoir des mentors, limite spirituels, à imiter. Tous ces archétypes deviennent des personnages qu’on copie, qu’on s’approprie. À un moment de ma vie, j’étais une “stay at home girlfriend”, quand je vais à la salle je suis une “fit girl”, je roule des fesses, etc. quand je poste une story en train de bosser à 3h du mat’, je suis la girl boss toxique qui fait sentir aux autres qu’ils ne bossent pas assez (rires). »
Alors que le développement personnel est en chute libre dans l’esprit des gens, ces archétypes des réseaux prennent le relais sur le besoin de retrouver du sens à nos vies, créant de véritables ethos – manière d’être, applicables à chaque aspect de sa vie – nous plaçant dans une narration. La brat, le demure, la clean girl, la fit girl, la trad wife, le fuckboy, le edgelord, forment ainsi une palette de skins de personnalité à revêtir, autant physiquement que mentalement, pour romantiser son existence – drivé par des mood boards partagés propres à chaque communauté. Et ces memes comportementaux peuvent se mélanger entre eux, voir tendre au jeu de rôle.
DÉGUISEMENT & VIE MEMIFIÉE
« Un jour je m’habille en mode Rachel Green dans Friends, poursuit notre experte, quand elle quitte son taffe de serveuse et commence chez Ralph Lauren, son rêve, et elle commence à mettre des pantalons taille basse un peu costume. Et je casse le style en mettant une fourrure de mob wife. Le lendemain, je suis en mode La petite maison dans la prairie, avec une robe années 1950 un peu trad wife, avec le vert de Brat. C’est limite du déguisement. Ta vie quotidienne est memifiée. On voit beaucoup ça sur Tik Tok, où on va utiliser la pop culture, reprendre des œuvres, des films, une référence, et se la réapproprier. » Si le vert gazon anglais du Brat summer et son côté punk est éloigné du rose Barbie de l’été 2023, les deux sont des concepts marketing pensés pour devenir viraux – et entrer durablement dans les poudriers numériques de soft-cosplay. La recette ? Un mélange d’empowerment et d’acceptation de soi, le tout présenté avec une identité visuelle marquante et reconnaissable, qui invite au détournement par sa simplicité.
Et Charli XCX n’est pas la seule à avoir bien compris ces mécaniques lui ayant permis de relancer – et pas qu’un peu – sa carrière qui stagnait, comme l’explique notre spécialiste. « Ça rejoint Rosalia et son album Motomami (sorti en 2022, ndlr) où l’idée est “je me transforme, je passe de la petite chenille à un papillon, je me dévoile, je m’en fiche des conventions, je sais que je suis hyper bonne” etc. C’est de l’empowerment féminin, du développement personnel classique, elle a utilisé Tik Tok, elle a créé un outfit hyper moto, avec la veste noire et le pantalon de cuir, etc. Aujourd’hui quand les artistes créent des albums, ils créent des mood. Il y a aussi ce truc de communauté, et cette notion d’univers qui est hyper importante. » Le 2 septembre, Charli XCX postait sur Twitter, « goodbye forever brat summer. » Je retourne sur Insta, et là j’entends parler de la chanson « Diet Pepsi » de l’influenceuse Addison Rae, déjà présenté comme le prochain meme de positionnement personnel.
Hein ? Je crois que je vais finir sur Facebook…
Par Jean-Baptiste Chiara